ZAD MOULTAKA
2ème Biennale des Photographes du Monde Arabe Contemporain
A propos de BEIRUTOPIA : texte de Randa MIRZA et Stéphanie DADOUR *
"BEIRUTOPIA est une projection dans l'avenir du portrait de Beyrouth.
Depuis la fin de la guerre civile libanaise, en 1990, Beyrouth cherche à renouveler son mythe d'une ville glamour, à la charnière de l'Orient et de l'Occident. La ville connaît une effervescence de projets immobiliers, marquée par l'entrée des capitaux étrangers et une importante spéculation. Pour commercialiser les projets en construction, les promoteurs placent d'énormes panneaux publicitaires, représentant le futur bâtiment. Ces affiches sont non seulement des simulacres mais des représentations bio-politisées, c'est-à-dire identifiant un forme de pouvoir sur la vie des gens. de manière illusoire, elles simulent, voire imposent l'immeuble, son environnement, ses intérieurs, ses habitants et leur style de vie.
Les photographies de BEIRUTOPIA sont des mises en abîme de ces affiches publicitaires représentant l'immeuble virtuel, encadré depuis l'espace réel dans le quel il se trouve. Le croisement des situations virtuelle et réelle confère aux photographies un sentiment d'une inquiétante étrangeté reflétant la transformation actuelle de la ville. Cette étrangeté est valorisée par le cadrage photographique, un jeu d'échelles et de plans constituant une lecture critique du développement urbain.
BEIRUTOPIA renvoie à une situation contre-utopique, ne faisant pas de distinction entre les images illusoires et les récits du pastiche qu'elle incarne. En fusionnant virtuel et réel, il s'agit de redéfinir l'espace urbain et ses ^potentialités, de faire émerger de nouvelles formes d'identifications, et de se réappropriai le tissu social et spatial. dans cette optique, les photographies sont un espace de résistance."
* Stéphanie DADOUR est docteur en architecture, maître-assistante HCA à l'ENSA Grenoble. Elle a passé une année en tant que visiting scholar à l'Université de Columbia de New-York ; elle a participé au programme Mondialisation et Etudes Culturelles du Centre Pompidou. Elle enseigne dans plusieurs écoles d'architecture en France et au Liban.
Ouvrage : Des pensées du décentrage au pragmatisme : la question de l'identité dans l'espace domestique. Amérique du Nord (1988-2008), thèse de doctorat.
A propos de ASTRES FRUITIERS : leçons de ténèbres planétaires
Texte de Emmanuel DAYDE *
"Au sein du ciel immense, les astronomes sumériens qui scrutaient avidement les mouvements dans l'espace identifiant sept planètes dans notre systèmes solaire. Comme ils pressentaient par delà l'infinité de l'espace un autre système, récemment découvert : celui de l'étoile naine et rouge Trappist et de six exoplanètes de la taille de la Terre qui l'entourent... Un hymne akkadien à Nanna/sin, le dieu de la Lune de Sumériens et d'Akkad, utilise l'épithète Inbu (Fruit), pour qualifier les évolutions de l'astre dans le ciel, qui ressemblent à celles des fruits dans un arbre, tout à tour naissant, pourrissant et renaissant. Explorateur des confins du vertige, Zad Moultaka part alors en quête de cette harmonie des sphères, en photographiant des traces d'étoiles au sein même de la terre, en identifiant sept légumes à sept astres des dieux babyloniens (de Shamash à Isthtar). Alliant l'ascétisme mystique des natures mortes de Zurbaran et de l'Office des Ténèbres de Moracles au Siècle d'Or espagnol, aux expérimentations alchimiques d'Hicham Berrada aujourd'hui, ses Astres Fruitiers franchissent l'espace en le dilatant intensément, à la manière d'une boucle spatio-temporelle. Rutabagas noueux en forme de météorites, aubergines veloutées évoquant d'oblongues planètes noires, tomates éruptives aux cônes volcaniques, ou champignons blafards et lunaires - que réchauffe à peine un pâle chou rouge solaire en train de s'éteindre -, ses nourritures terrestres se métamorphoses en d'obscures multitudes célestes flottant dans l'infini. Obtenues en usant de très faibles pinceaux lumineux et en pratiquant un temps d'exposition très long, ces vanités terrestres en suspension céleste, saisies dans une lumière d'éternité, deviennent aussi poussières d'étoiles mésopotamiennes. Voyage dans les abysses, la musique astrale des fruits de Zad Moultaka - qui tente d'imaginer la fréquence sonore de ces astres lointains- éprouve, dit-il, "la profondeur des eaux, la nuit, le surgissement et les nuances infinies qui transforment le légume en une autre réalité". La poétesse libanaise Etel Adnan l'avait prédit : "La race humaine est en d'aller vers la préhistoire. Précisément. En allant vers les planètes".
* Emmanuel DAYDE : Historien de l’art, critique dramatique et essayiste, Emmanuel Daydé organise Nuit Blanche à Paris depuis sa création en 2002 tandis qu’il écrit dans les revues Art Absolument, Connaissance des Arts, Art Press et Air France Magazine, où il s’entretient avec Heiner Müller, Philippe Boesmans, Miquel Barcelo, Krzysztof Warlikowski ou Romeo Castellucci. Commissaire d’expositions pour « Ousmane Sow sur le pont des Arts », « Haïti, anges et démons » à la Halle Saint-Pierre, « Regards persans : Iran, une révolution photographique » à l’Espace Electra, « C’est la vie ! Vanités de Caravage à Damien Hirst » au musée Maillol à Paris ou « Zad Moultaka : Come in Terra » » au Palazzo Albrizzi à Venise , il a rédigé plusieurs monographies, notamment sur Fabian Cerredo, Anselme Bois-Vives et Aurel Cojean, ainsi que la préface de l’exposition « Die Ungeborenen (Les non-nés) » d’Anselm Kiefer à la galerie Thaddaeus Ropac – Paris Pantin. (d'après http://zadmoultaka.com/blog/portfolio/emmanuel-dayde/)